close

Regards croisés sur le MaaS avec Kisio Digital

MaaS

Dans le cadre de la publication de notre livre blanc sur la Mobility-as-a-Service (MaaS), Padam Mobility donne la parole à son partenaire technologique de confiance Kisio Digital, par l’intermédiaire de son directeur de la communication, Bertrand Billoud.

Quelle est la valeur ajoutée de Kisio Digital dans une démarche MaaS ?

Bertrand Billoud (BB) : Le véritable apport technologique de Kisio Digital dans le développement de MaaS régionaux, nationaux ou urbains comme à Lille sur le réseau Ilévia avec Padam Mobility, repose sur notre système d’information-voyageur Navitia. L’information-voyageurs multimodale / intermodale est le cœur de notre expertise sur de plus en plus de modes de transport. Nous sommes un facilitateur de MaaS (MaaS enabler). On parle rarement des données d’usage des utilisateurs des plateformes numériques alors même que les usages et la voix de l’utilisateur sont un des principaux enjeux du MaaS. Si on se lance dans une logique de MaaS, l’usage doit guider l’innovation et l’amélioration continue des services numériques.

Notre livre blanc défend une vision d’un MaaS solidaire qui devrait se rapprocher des territoires pour se positionner en catalyseur des offres de mobilités, aussi bien pour les populations les plus fragiles. Comment la valorisation de logiques intermodales peut-elle bénéficier aux territoires ?

BB : Ce qui est très intéressant avec le MaaS, c’est de se poser la question du sens, des objectifs que l’on se fixe et des ressources qu’on mobilise pour répondre aux enjeux sociaux, économiques et écologiques d’un territoire en termes de mobilité. Que veut-on faire avec le MaaS ? Est-ce que l’on veut limiter la congestion automobile, faciliter la mobilité des Personnes à Mobilité Réduite, mettre l’accent sur le tourisme, les modes doux… ? Selon le contexte, la solution retenue sera différente. L’offre doit être adaptée aux différents enjeux rencontrés par les territoires.

Les priorités fixées par les décideurs politiques donnent une direction au MaaS. Imposer des modes de transport totalement déconnectés des réalités n’est pas la bonne solution. Sur ce point, je crois que nous sommes alignés avec Padam Mobility dans le sens où nous considérons que l’intégration de solutions de mobilité doit se faire en bonne intelligence et répondre à des enjeux locaux bien précis comme l’inégal accès aux services de transport dans les zones peu denses.

Le MaaS est-il le bon outil dans les zones périurbaines ou rurales  ?

BB : Cela dépend du contexte local. Il faut prendre conscience que les outils digitaux ne sont pas la solution à tous les maux de la société et en particulier dans le secteur de la mobilité. Produire un outil digital est une bonne chose sur le papier. Néanmoins, cela nécessite un travail de communication et de marketing important pour développer l’audience et les usages de la part des citoyens. Il faut le faire savoir, sinon on a perdu la bataille des usages. Concevoir un produit utile, oui, mais le plus important est de concevoir un produit utilisé par le plus grand nombre.

Il faut aussi garder en tête que l’aspect humain est primordial et ne pas toujours se reposer uniquement sur les outils numériques. C’est aussi parfois ce que l’on essaye de mettre avant chez Kisio Digital. Enfin, les usages évoluent, le “métro-boulot-dodo” cinq jours par semaine n’est plus toujours la référence. C’est la raison pour laquelle le MaaS doit mailler le territoire avec des points d’intérêts, des hubs intermodaux mais aussi des tiers lieux et prendre en compte nos modes de vie.

Dans les grandes villes, l’offre de mobilité tend à s’individualiser de plus en plus avec des modes partagés certes mais coûteux et moins doux que ce que l’on en dit (trottinettes électriques, e-bike, location de voiture). Comment le MaaS peut-il s’insérer dans ces dynamiques et influencer les comportements vertueux dans les zones urbaines et périurbaines ?

BB : La mobilité servicielle a un rôle à jouer pour encourager les  comportements vertueux. On peut naturellement penser au levier qu’est celui de la tarification. La loi LOM prévoit en ce sens une tarification écologique. À l’échelle régionale, des barèmes tarifaires incitant les usagers à privilégier les transports collectifs aux transports individuels devront normalement être mis en place. 

Le secteur de la mobilité est politique. Si le MaaS peut influencer les comportements vertueux, ces derniers correspondront aux modes que l’AOM juge vertueux. Cela peut être le vélo, le mass transit, ou encore le co-voiturage en fonction du contexte. Dans tous les cas, il faut avoir conscience que toutes les mobilités ont un impact écologique, à l’exception de la marche et du vélo mécanique, et il faut faire en sorte de le limiter. Les services numériques (algorithmes, données) peuvent répondre à différents enjeux (sociaux, économiques et environnementaux), nous simplifier la vie, mais ça ne suffira pas. Je pense qu’en tant que citoyen, nous avons aussi un rôle à jouer pour réduire l’impact de notre mobilité. Et dans le contexte actuel, avec le développement du télétravail et des visioconférences, la démobilité fait aussi partie de cette équation, qu’on pourrait appeler le mix-mobilité. 

Pour encourager les comportements vertueux, le MaaS ne peut pas être radical. Le MaaS doit encourager ce qu’on appelle le “mix mobilité” soit l’usage de différents modes de transport en fonction du contexte. Concrètement, dans certains territoires, il est inconcevable de se séparer de la voiture. Elle peut garder une place importante dans les modes de transport à condition de la combiner avec des modes plus doux, plus partagés et d’encourager d’autres usages de la voiture comme le covoiturage. Par exemple, l’ouverture des données de trafic routier Bison Futé permettrait de mieux comprendre les usages et d’améliorer les services intermodaux. Proposer, quand cela est pertinent, une solution de stationnement dans un hub de mobilité et un rabattement vers le réseau de transport en commun structurant.

La question du MaaS rassemble une grande diversité d’acteurs et pose la question de la gouvernance. En prenant en considération le rôle social et environnemental du MaaS , quelle serait sa forme de gouvernance idéale ?  Qui sont les acteurs les plus à même de développer, contrôler et intégrer ?

BB : C’est précisément cette diversité d’acteurs qui doit faire la force du MaaS. La mobilité servicielle doit être une question commune qui nécessite une coopération forte. Coopération entre opérateurs publics, privés, acteurs industriels comme Kisio Digital ou Padam Mobility mais aussi des associations qui encouragent les comportements vertueux en matière de mobilité. Le MaaS nécessite des alliances et c’est l’Autorité Organisatrice de la Mobilité (AOM) qui doit en être le chef d’orchestre. Établir les règles du jeu, contrôler les acteurs et les offres est une évidence. L’espace public ne peut pas céder à l’anarchie d’offres de mobilité. Il faut absolument un tiers de confiance, c’est capital pour que nos données ne partent pas dans des systèmes opaques  qui vont privilégier un mode par rapport à un autre.

Cela doit être fait en bonne intelligence et nécessite que chacun se concentre sur son cœur de métier. Pour Kisio Digital c’est l’information-voyageur. Il faut trouver des jeux d’alliance, des partenariats plutôt que d’essayer de tout faire seul. Il y a ces notions de communs et de coopération qui doivent être moteurs de la mobilité servicielle et de la souveraineté numérique. À titre d’’exemple, notre solution Navitia fonctionne en open source : c’est une façon de mutualiser les ressources et les dépenses et se mettre d’accord sur une feuille de route, dans une logique d’amélioration continue.

À Helsinki le MaaS Whim, un des premiers en Europe, soulève la question du modèle économique, quel regard portez-vous sur ce type d’offre ?

BB : Je ne crois pas aux offres MaaS qui proposent des forfaits de mobilité illimitée à des tarifs onéreux (autour de 500 euros / mois pour Whim à Helsinki). En plus, elles contribuent au fait de négliger le vrai coût des transports et à les utiliser sans raison. On ne peut pas dire qu’on lutte contre l’autosolisme pour protéger la planète et proposer des offres illimitées. Ce modèle économique n’est pas souhaitable.

En France, quels modèles économiques de MaaS semblent émerger ?

BB : Sur le modèle économique du MaaS ? Je crois qu’à ce jour il n’en existe pas vraiment. On peut néanmoins observer d’un côté des MaaS souvent sous-financés et de l’autre des MaaS (CityMapper, Moovit) fortement subventionnées par des fonds d’investissements privés à hauteur de plusieurs millions d’euros. La pérennité de ces modèles peut être questionnée au même titre que les dérives qu’ils peuvent engendrer comme le fait de proposer des itinéraires en fonction de l’opérateur le plus offrant ou basé sur un modèle publicitaire et consumériste.

C’est peut-être une bonne occasion pour poser le sujet du financement des services numériques de mobilité au juste prix. La gratuité, même dans le digital, n’existe pas. Ce qui est gratuit aujourd’hui peut devenir très cher du jour au lendemain. L’épisode Google Maps en 2018 est un bon cas d’école. 

Les acteurs publics doivent investir davantage dans les services numériques et arrêter de se focaliser sur le prix le plus bas si c’est au détriment de la qualité de service pour le citoyen voyageur. Un MaaS à la hauteur c’est un MaaS correctement financé. Il y a souvent un déséquilibre important entre ce qu’on est prêt à investir sur l’infrastructure physique et l’infrastructure numérique (données, systèmes d’information, serveurs). En France, il y a encore peu d’initiatives ambitieuses à grande échelle, mise à part certains acteurs comme la SNCF, la RATP ou Île-de-France Mobilités.

Concrètement, dans quelles mesures des entreprises comme Kisio Digital ou Padam Mobility qui proposent des services en marque blanche sont des facilitateurs de MaaS ?

BB : Nous sommes effectivement essentiellement en contact avec des acteurs publics en délégation de service public pour les aider à améliorer les services aux voyageurs. Nous attachons beaucoup d’importance à l’idée d’améliorer « l’agrément” ou la qualité de voyage lors d’un déplacement. C’est une vision que l’on partage d’ailleurs avec Padam Mobility. L’idée de pouvoir utiliser un service de transport fiable dans lequel on peut s’asseoir comme le Transport à la Demande ou d’autres transports en commun participe au bien-être des usagers. 

Tout comme vous, nous nous définissions comme facilitateurs du MaaS. À notre niveau, principalement sur l’information-voyageur. Nous avons plus de valeur ajoutée à bien faire de l’information-voyageur qu’à essayer de tout faire. Nous nous efforçons également de faire comprendre la valeur et l’importance de la puissance publique pour contribuer au bien-être des utilisateurs de services de mobilité. L’exemple de Transport for London (TfL) est assez parlant. L’été dernier l’autorité organisatrice des transports londoniens a sorti son application officielle qui met l’accent sur les services destinés aux Personnes à Mobilité Réduites. Les acteurs privés qui opèrent des services MaaS ou proposent des applications de mobilité B2C ne traitent pas forcément ce genre de sujet en priorité. Nous sommes amenés à le faire quand nous accompagnons les acteurs publics. Les solutions numériques que nous proposons en marque blanche s’inscrivent dans une logique d’intérêt général et de Service Public. C’est en partie aussi en cela que nous sommes différents d’autres opérateurs de MaaS.

________

Kisio Digital, filiale du groupe Keolis propose un système maison d’information-voyageur multimodal, Navitia. Il reçoit plus de 8 milliards de requêtes par an et lui permet d’intervenir sur une multitude de systèmes locaux intégrant la recherche d’itinéraire multimodal (comparaison des modes), intermodal (combinaison des modes), porte-à-porte et en temps-réel. L’entreprise est aussi un acteur majeur de la gestion et de la mise en qualité des données de mobilité pour diffuser l’information-voyageurs la plus  fiable. Tout comme Padam Mobility, ses principaux clients dans le cadre de projets de Mobility-as-a-Service (MaaS) sont les Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM) telles que Île-de-France Mobilités et le SYTRAL à Lyon mais aussi d’autres acteurs comme la SNCF, les réseaux Keolis ou Mappy. 

 

Cet article pourrait vous intéresser : Mobility-as-a-Service et Transport à la Demande : une plateforme inclusive